France - Tribunal administratif de Lille, 2 novembre 2015, Association MEDECINS DU MONDE et autres, n°1508747

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Pays dans lequel la décision est prise:
Pays d’origine du demandeur:
Date de la décision:
02-11-2015
Citation:
TA Lille, 2 novembre 2015, Association MEDECINS DU MONDE et autres, n°1508747
Court Name:
Tribunal administratif de Lille (Jean-François Molla, Juge des référés)
National / Other Legislative Provisions:
France - Code of Administrative Justice Article L.521-2
France - Code of Administrative Justice L.761-1
France - General Code of Local Authorities L.2215-1
France - Code of Social and Family Action L.345-2-2
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Résumé succinct: 

Les Requérants ont demandé au juge administratif d’ordonner aux autorités compétentes de prendre des mesures d’urgence pour garantir les libertés fondamentales des personnes vivant dans le bidonville de Calais.

Le Juge a fait droit à certaines de leurs demandes (recensement des mineurs vulnérables, hygiène, salubrité, accès des véhicules de secours) en relevant que la situation du bidonville portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.

Faits: 

Confrontés à une présence de plus en plus massive à Calais de migrants tentant de rejoindre la Grande-Bretagne, les autorités publiques nationales et locales ont ouvert à la périphérie de Calais le centre Jules Ferry en avril 2015. Ce centre accueille environ 120 femmes et enfants. Autour de ce centre, un camp illégal s’est constitué, regroupant aujourd’hui environ 6000 personnes (dont 300 femmes et 50 enfants). La plupart de ces personnes n’ont pas le statut de réfugiés et ne l’ont pas demandé.

Les Requérants sont Médecins du Monde and Secours Catholique-France qui ont le but, parmi d’autres, de fournir l’assistance aux refugiées ainsi que six migrants dont leurs nationalités ne sont pas divulgués.

Les requérants ont demandé, dans le cadre de la procédure d’extrême urgence devant le juge administratif (« référé-liberté ») de :

A.

1. Ordonner toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes vivant dans le bidonville de Calais jouxtant le centre Jules Ferry.

B. Enjoindre aux autorités suivantes, au bénéfice des personnes vivant dans le bidonville de Calais, dans un délai de 48 heures et sous astreinte de 100 euros par jour de retard,  de :

2. Au préfet du Pas-de-Calais :

2.1. leur garantir le droit à l’hébergement d’urgence et l’accès à un hébergement sur le fondement de l’article L2215-1 alinéa 4 du code général des collectivités territoriales ;

2.2. assurer l’enregistrement de leurs demandes d’asile et les orienter vers une solution d’hébergement ;

2.3. organiser une représentation permanente de différents acteurs institutionnels et privés destinée à assurer un système effectif  d’informations ;

2.4. faire publier dans deux journaux locaux une notice d’information sur la procédure d’asile ;

3. Au préfet du Pas-de-Calais et au maire de la commune de Calais :

3.1. procéder à un inventaire des ressources foncières publiques afin que les bâtiments inoccupés soient affectés à leur logement temporaire et d’urgence ;

3.2. leur proposer sans délai des solutions d’hébergement d’urgence ;

3.3. leur assurer au moins deux services de repas quotidiens ;

3.4. assurer l’accompagnement physique des patients  à la permanence d’accès aux soins de santé de Calais ;

3.5. mettre immédiatement à l’abri les personnes  confrontées à des situations d’extrême vulnérabilité ;

3.6. mettre en place un dispositif de sécurité ;

3.7. faire procéder dans le bidonville de Calais à la mise en place d’installations destinés à assurer l’hygiène, la salubrité et la sécurité (dont des travaux d’assainissement) ;

4. Au préfet du Pas-de-Calais et au directeur de l’Agence Régionale de Santé (« ARS ») du Nord-Pas-de-Calais :

4.1. allouer à la permanence de santé d’accès aux soins de santé les moyens lui permettant de répondre aux besoins ;

4.2. assurer la création d’un lieu de soins et d’accompagnement;

4.3. assurer la création d’une équipe mobile de professionnels médico-sociaux.

Décision & Raisonnement: 

Le Tribunal administratif reconnaît l’existence d’une situation d’urgence caractérisée. Alors même que le bidonville est illégal, que les personnes qui y vivent n’ont d’autre but que de se rendre par tous les moyens en Grande-Bretagne et que leur nombre augmente chaque jour, il appartient aux autorités publiques de veiller à ce que les droits les plus élémentaires des personnes, constitutifs de libertés fondamentales, soient garantis.

A. Sur les demandes présentées sur le fondement du référé-liberté

Le référé-liberté (article L521-2 du code de justice administrative) permet de demander au juge administratif de prendre en urgence (48 h) toute mesure utile en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le Tribunal administratif a considéré que certaines demandes des Requérants  relatives à l’hébergement d’urgence,  les installations d’hygiène, les informations sur la procédure d’asile n’entraient pas dans le champ du référé-liberté puisque ces demandes ne pouvaient donner lieu à des mesures d’urgence.

B. Sur les atteintes au droit à l’hébergement et au droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants :

1) L’article L345-2-2 du code de l’action sociale et familiale garantit l’hébergement et la prise en charge sanitaire des personnes les plus vulnérables. Le Tribunal administratif considère que les demandes des Requérants fondées sur cet article relèvent de l’office du juge du référé-liberté. Ce raisonnement est fondé sur le fait que :

(i) la violation de l’article L345-2-2 du code l’action sociale et familiale constituerait une violation grave et manifestement illégale du droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants ;

(ii) il serait possible de répondre une telle violation en ordonnant des mesures d’urgence.

Toutefois, le préfet et l’ARS ont annoncé avoir pris des décisions permettant de garantir ces droits aux personnes concernées, hormis le recensement des mineurs isolés.

Par conséquent, les demandes des Requérants doivent être rejetées comme étant sans objet, sous réserve de la mise en œuvre à brève échéance de ces décisions. Il y a seulement lieu à enjoindre au préfet de procéder dans les 48 heures au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département en vue de leur placement.

2) Les demandes tendant à faire assurer des services de repas aux personnes vivant dans le bidonville sont rejetées, les autorités compétentes prenant déjà les mesures nécessaires en la matière.

3) En raison d’un accès manifestement insuffisant à l’eau et aux toilettes, de l’absence de ramassage des déchets et de d’accès possible pour les véhicules de secours d’urgence, la population du bidonville est confrontée à une prise en compte insuffisante de ses besoins élémentaires en matière d’hygiène et d’alimentation en eau potable et se trouve exposée à un risque d’insalubrité (développement de maladies dû à un manque d’hygiène) et de danger en cas de situation d’urgence.

Il est ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.

Par conséquent, le Tribunal administratif ordonne au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de mettre en place de nouvelles installations de fourniture d’eau potable et d’hygiène, un dispositif de collecte des ordures et de nettoyage du site et un accès pour les services d’urgence, dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

C) Sur les atteintes au droit d’asile

L’Etat n’a fait preuve d’aucune carence caractérisée dans la fourniture d’informations concernant l’asile aux personnes vivant dans le bidonville, grâce à plusieurs canaux d’information. De même, l’Etat n’a fait preuve d’aucune carence caractérisée dans le traitement des demandes d’asile.

Les Requérants ne démontrent pas que les moyens d’information et de traitement des demandes d’asile soient insuffisants.

Le Tribunal administratif rejette donc les demandes des Requérants.

D) Sur le droit à la sécurité

L’Etat assure par des patrouilles des forces de l’ordre et la surveillance particulière de certains moments sensibles la sécurité de la population du bidonville et ne fait donc preuve d’aucune carence caractérisée en la matière. Le Tribunal administratif rejette donc les demandes des Requérants.

Résultat: 

La décision fait droit partiellement à certaines demandes : recensement des mineurs isolés en situation de détresse dans un délai de 48 heures ; travaux tendant à l’amélioration des conditions d’hygiène, de salubrité et de sécurité dans un délai de 8 jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard .

Elle rejette les autres demandes.

Subsequent Proceedings : 

Conseil d’Etat, 23 novembre 2015, Associations Médecins du Monde et autres, n°394540 : rejet des appels principaux des autorités publiques et des appels incidents des associations : confirmation en tous points de la solution du TA Lille

Observations/Comments: 

Le 19 février 2016, le préfet du Pas-de-Calais a pris un arrêté ordonnant l’expulsion des occupants de la zone dite « sud » du bidonville de Calais afin de permettre le recensement des mineurs isolés et les travaux d’amélioration prévus par le cas commenté ci-dessus (ordonnance n°1508747).

Cet arrêté a fait l’objet d’un recours devant le juge administratif par différentes associations requérantes.

Par une ordonnance du 25 février 2016, M. Sharifi A et autres, n°1601386, le Tribunal administratif de Lille (juge des référés V. Quemener) a partiellement suspendu l’exécution de l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais en tant qu’il porte sur certains lieux de vie. L’arrêté du préfet pris en application du cas commenté ci-dessus est donc partiellement suspendu jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité de ses dispositions relatives à l’expulsion de certains lieux de vie.

En revanche, est autorisée l’expulsion des occupants de la zone sud du bidonville prévue par ledit arrêté  en dehors de ces lieux de vie.

L’ordonnance du 25 février 2016 suspendant partiellement l’exécution de l’arrêté du préfet  fait actuellement l’objet d’un appel des associations requérantes en première instance devant le Conseil d’Etat le 26 février 2016.

This case summary was written by Linklaters LLP.