France - La Cour nationale du droit d’asile, 7 janvier 2016, Mme S épouse M. et M. M. c/ Directeur Général de l’OFPRA N°15025487, 15025488

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Pays dans lequel la décision est prise:
Pays d’origine du demandeur:
Date de la décision:
07-01-2016
Citation:
CNDA, 7 janvier 2016, n°15025487 et 15025488
Court Name:
The National Court of Asylum La Cour nationale du droit d’asile
National / Other Legislative Provisions:
France - Ceseda (Code of the Entry and Stay of Foreigners and Asylum Law) - Art L.723-16
France - Declaration of Human Rights (1789) - Art. 16
France - Declaration of Human Rights (1789) - Art. 4
France - Declaration of Human Rights (1789) - Art. 5
France - Declaration of Human Rights (1789) - Art. 6
France - Ordinance of 7 November 1998 priority preliminary ruling on constitutionality - Art 23.1
France - Ordinance of 7 November 1998 priority preliminary ruling on constitutionality - Art 23.2
France - Constitution - Art 88.1
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Résumé succinct: 

La demande de réexamen n’est recevable que si l’intéressé présente des faits ou éléments de preuve nouveaux se rapportant à sa situation personnelle ou à la situation dans son pays d’origine, postérieurs à la décision définitive prise sur la demande antérieure ou dont il est avéré qu’il n’a pu en avoir connaissance que postérieurement, et susceptible, s’ils sont probants de modifier l’appréciation du bien-fondé ou de la crédibilité de la demande de l’intéressé. 

Le directeur général de l’OFPRA était fondé à estimer que les éléments que les requérants avaient présentés devant lui n’augmentaient  pas de manière significative la probabilité qu’ils justifient des conditions requises pour prétendre à une protection et que leurs demandes de réexamen était irrecevables, sans avoir à les convoquer en entretien avant de prendre une décision d’irrecevabilité. 

Faits: 

Mme M. et Mm M sont de nationalité kosovare. Ils affirment qu’ils ont des craintes actuelles et personnelles de persécution en cas de retour au Kosovo en raison de l’appartenance de Mme M. à la minorité Ashkalie et du fait de la mixité ethnique du couple qu’ils forment.

M. et Mme. M ont chacun déposé une demande d’asile devant l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) le 9 octobre 2013, le directeur général de l’office a rejeté ces demandes. Par une décision du 25 juin 2015, la Cour Nationale du Droit d’Asile a rejeté leurs recours dirigés contre ces décisions Le 5 août 2015. M. et Mme M. ont chacun déposé une demande de réexamen de leur demande d’asile devant l’office. Ces demandes ont fait l’objet de deux décisions d’irrecevabilité en date du 10 août 2015 au motif que les éléments qu’ils ont présentés n’augmentaient pas de manière significative la probabilité qu’ils justifient des conditions requises pour prétendre à une protection.

Ils soutiennent que leurs demandes de réexamen, qui comportent des éléments augmentant de manière significative la probabilité qu’il justifie des conditions requises pour prétendre à une protection internationale sont justifiés; que l’office ne pouvait se dispenser de le convoquer à un entretien au vu des éléments nouveaux présentés à l’appui de sa demande de réexamen. 

Décision & Raisonnement: 

Il y a lieu de joindre les recours de Mme. M et M. M. pour statuer par une seule décision.

Les associations ELENA France et La Cimade sont recevables à intervenir devant le juge de l’asile, leurs interventions doivent être admises.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

La Cour nationale du Droit d’Asile (CNDA), saisie d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission à la triple condition  que la disposition contestée:

-    soit applicable au litige ou à la procédure

-    n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances, et

-    que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux

Il résulte de l’article 88-1 de la Constitution qu’en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union Européenne.

En ce cas, il n’appartient pas qu’au juge de l’Union Européenne , saisi à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne.

L’article L.723-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles du paragraphe 2(d) de l’article 33 et des paragraphes 3 et 5 de l’article 40 de la directive 2013/32 UE. 

Les requérants soutiennent que cette transposition de la directive mettrait en cause l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, y compris en tant que cet objectif constituerait une garantie du droit d’asile, des lors que ni L.723-16 ni la directive ne définissent ce qu’est un fait ou élément nouveau qui «augmente de manière significative la probabilité» de justifier des conditions requises pour prétendre à une protection. Un tel objectif ne constitue pas une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Par suite la QPC soulevée est dépourvue de caractère sérieux, il n’y a pas lieu de la transmettre au Conseil d’Etat.

Sur les moyens tirés du non-respect du droit de l’Union européenne

Les requérants soutiennent que le paragraphe 3 de l’article 40 de la directive et l’article L.723-16 méconnaissent le principe général de sécurité juridique inhérent au droit de l’Union européenne.

1.       Il appartient au juge administratif, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance par une directive d’un principe général du droit de l’Union Européenne ou de dispositions prévues par les traités européens, de rechercher si la directive est conforme à ces principes et dispositions. En l’absence de doute sérieux concernant la validité, il lui revient d’écarter le moyen invoqué. Dans le cas contraire, il lui revient de saisir la Cour de Justice d’une question préjudicielle.

2.       Lorsque est invoqué devant le juge administratif un moyen tiré de ce qu’une loi transposant une directive serait elle même incompatible avec un principe général du droit de l’Union Européenne, il appartient au juge administratif de s’assurer que la loi procède à une exacte transposition des dispositions de la directive. Si tel est le cas, le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe par la loi de transposition ne peut être apprécié que selon la procédure de contrôle de la directive elle-même.

En ce qui concerne les moyens mettant en cause la validité de la directive 2013/32.UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013

Sur la méconnaissance du principe de sécurité juridique

Le principe général de sécurité juridique constitue un principe fondamental du droit de l’Union Européenne.  Il exige qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaitre sans ambiguïté, leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence. 

En revanche, dès lors que cette réglementation a vocation à s’appliquer à un nombre indéfini de situations qu’il est impossible d’envisager à l’avance, ce principe n’impose pas de détailler des cas précis dans un acte normatif.

1.       Il résulte du paragraphe 3 de l’article 40 lu en combinaison avec les paragraphes 2 et 5 du même paragraphe et l’article 33 de la directive 2013/32 UE, que le paragraphe 3 de l’article 40, ne contredit pas les autres dispositions de la directive relatives au régime général des demandes irrecevables, mais précise ces dispositions en définissant l’élément ou le fait nouveau susceptible de justifier le rejet pour l’irrecevabilité de la demande de réexamen à l’issue de l’examen préliminaire comme celui qui n’augmente pas de matière significative la probabilité que le demandeur justifie des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

2.       Les requérants font valoir que cette définition est elle-même imprécise et équivoque, de telle sorte que le demandeur n’est pas en mesure d’apprécier à l’avance les conditions requises pour solliciter l’OFPRA en due de réexamen de sa demande.  Le critère des éléments ou faits nouveaux qui «augmentent de manière significative la probabilité» se rapporte à la seule appréciation de la valeur probante attachée aux éléments ou faits nouveaux ainsi présentés pour justifier le réexamen complet de la demande, y compris les éléments et faits qui avaient déjà été examinés lors d’une demande précédente.

Le paragraphe 3 de l’article 40 est conforme au principe général de sécurité juridique.

Sur la méconnaissance du droit d’asile

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que cette disposition de la directive serait contraire au disposition de l’article 18 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, ni contraire au  Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (notamment ses articles 67, paragraphe 2, et 78), en tant qu’elle ne pourrait assurer une application commune et uniforme du droit d’asile conforme à la Convention de Genève et à ce traité.

Les moyens mettant en cause la validité de la directive 2013/32/UE doivent être écartés. 

En ce qui concerne les moyens relatifs à l’article L.723-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

1.       Les dispositions de l’article L.723-16 ser bornent à transposer dans les mêmes termes les dispositions de la directive précitée, cette transposition n’est contraire ni au principe général de sécurité juridique ni à l’article 18 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, et au Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (notamment ses articles 67, paragraphe 2, et 78).

2.       Les requérants soutiennent que l’application de l’article L.723-16 méconnait la garantie procédurale essentielle de l’audition du demandeur d’asile imposée par la directive 2013/32/UE.

-      Il permet à l’office dans le cadre de l’examen préliminaire de rejeter pour irrecevabilité une demande de réexamen sans entretien ni discussion contradictoire sur le bien fondé de ce motif d’irrecevabilité.

-      La contestation de cette décision d’irrecevabilité sans entretien ne peut faire l’objet que d’un contrôle limité du juge de l’asile, qui ne garantit pas suffisamment le respect du droit de l’entretien en cas de décision d’irrecevabilité irrégulière. 

L.735 du Code de l’entrée et du séjour, prévoit que la cour annule la décision du directeur general de l’OFPRA et lui renvoie l’examen de la demande d’asile, lorsqu’elle juge que l’office a pris cette décision sans procéder à un entretien personnel avec le demandeur en dehors des cas prévus par la loi.

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions contestées seraient contraires aux principes de base et de garanties fondamentales en matière de droit à l’entretien personnel, ni que le juge de l’asile ne pourrait pas en assurer un contrôle effectif.

Sur le moyen tiré du non-respect de la convention de Genève

Les requérants ne sauraient soutenir que l’article L723-16 instaure un seuil trop élevé quant à l’établissement  d’un risque de persécutions ou d’atteintes graves pour ouvrir droit au réexamen d’une demande, contraire au principe du bénéfice du doute. Dès lors que l’examen préliminaire d’une demande de réexamen n’a pas pour objet de se prononcer sur l’éventuel refoulement d’un réfugié mais de déterminer si les éléments ou faits nouveaux présentés sont de nature à justifier ce réexamen. 

Sur le bien-fondé des demandes de réexamen

Il résulte de l’article L.723-16 que la demande de réexamen n’est recevable que si l’intéressé présente des faits ou éléments de preuve nouveaux se rapportant à sa situation personnelle ou à la situation dans son pays d’origine, postérieurs à la décision définitive prise sur la demande antérieure ou dont il est avéré qu’il n’a pu en avoir connaissance que postérieurement, et susceptible, s’ils sont probants de modifier l’appréciation du bien-fondé ou de la crédibilité de la demande de l’intéressé. Lorsque les faits ou éléments nouveaux sont recevables, il y a lieu de se prononcer sur le droit de l’intéressé en tenant compte de l’ensemble des faits qu’il invoque dans sa nouvelle demande, y compris ceux déjà examinés.

A l’appui de leurs demandes de réexamen les requérants soutiennent qu’ils ont été victimes d’actes de persécution et craignent avec raison d’être de nouveau persécutés en cas de retour au Kosovo sans pouvoir se prévaloir de la protection des autorités de leur pays. Ils reprennent l’exposé des faits allégués à l’appui de leurs demandes initiales et font valoir qu’ils établissent l’origine ashkalie de Mme M., et qu’ils ont appris par l’intermédiaire d’un voisin, qu’ils sont recherchés par un groupe de personnes opposées à leur union qui s’en prenaient chaque semaine à leur ancienne adresse. La soeur de M. M. les a  informés que des individus avaient endommagé leur maison , brisant des fenêtres et proférant des insultes   à caractère raciste.

1.       Les éléments nouveaux apportés par les intéressés sur l’origine ashaklie de Mme M. ne sauraient dès lors permettre le réexamen de l’ensemble de leurs demandes.

2.       Les éléments qu’ils ont fournis; des attestations des tiers et des photographies, pour établir que leur domicile serait l’objet d’actes répétés de malveillance depuis leur départ du pays de la part de ces individus ne sont pas suffisamment étayés pour établir ces faits nouveaux. Ils ne peuvent être considérées comme des témoignages objectifs ou dignes de foi. Ces photographies et ces témoignages sont dépourvus de force probante.  

3.       Le certificat médical du Centre Medico-psychologique concernant Mme M. qui se borne à attester du suivi dont elle fait l’objet, sans comporter l’exposé d’aucune constatation d’ordre médico-légal en lient avec les évènements qui seraient à l’origine de la fuite des pays, n’a pas le caractère d’élément nouveau.  Il en va de même de l’attestation du Parti démocratique Ashkali du Kosovo et de l’invocation, sur la foi de documentations générales publiques, de la situation générale prévalant au Kosovo. Ces elements non personnalisés ne permettent pas d’établir en quoi et du fait de qui M. et Mme M. seraient actuellement et personnellement l’objet dans leur pays de menaces de persécutions ou d’atteintes graves.

4.       Les attestations établies en mars 2015 sont antérieures à la précédente décision. Elles ne constituent pas des éléments nouveaux.

Les éléments présentés par les requérants ne sont pas susceptibles de modifier l’appréciation portée sur la crédibilité des demandes antérieures des intéressés, et par suite, n’augmentent pas de manière significative la probabilité qu’ils justifient des conditions requises pour prétendre à une protection.

Le directeur général de l’OFPRA était fondé à estimer que les éléments que les requérants avaient présentés devant lui n’augmentaient  pas de manière significative la probabilité qu’ils justifient des conditions requises pour prétendre à une protection et que leurs demandes de réexamen était irrecevables, en application de l’article L.723-16, sans avoir à les convoquer en entretien avant de prendre une décision d’irrecevabilité.

Les recours de M. et Mme M. doivent être rejetés. 

Résultat: 

Les interventions de l’association ELENA France et de la Cimade sont admises

Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.M et Mme M.

Les recours de M.M et Mme M. sont rejetés.

La présente décision sera notifiée à M. M., à Mme S. épouse M. et au directeur général de l’OFPRA. 

Subsequent Proceedings : 

L’arrêt est une réaffirmation de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui confirme l’inadmissibilité d’une nouvelle demande d’asile, et ce, sans une convocation à un entretien personnel préalable, en raison du caractère manifestement infondé des nouveaux éléments  présentés à l’appui de sa demande.

Observations/Comments: 

This case summary was written by Harriet Hartshorn, a BPTC student at BPP University. 

This case summary was proof read by Charlotte Durante, a LPC student at BPP Cambridge.