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Home ›Suite française. Les implications de l’affaire Al Chodor concernant la rétention des demandeurs d’asile dublinés
Introduction
Dans sa décision du 27 septembre 2017 [Pourvoi n° 17-15.160, arrêt n° 1130], la première chambre civile de la Cour de Cassation tire les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne CJUE le 15 mars 2017 dans l’affaire Al Chodor [CJUE, 15 mars 2017, Al Chodor, affaire C-528/15, présenté ici]. La Cour de Luxembourg a affirmé que les demandeurs d’asile qui doivent être transférés vers l’État responsable de l’examen de leur demande protection internationale, en application du règlement Dublin III [règlement (UE) n ° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride], ne peuvent être préalablement placés en centre de rétention que si, « dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert ».
Que ces critères objectifs soient énoncés non dans une jurisprudence établie sanctionnant une pratique constante de la police des étrangers ne suffit pas au juge de l’Union (§ 45), qui exige pour ce faire l’intervention de la loi qui seule peut venir limiter la liberté d’aller et de venir (§ 38). « L’absence d’une telle disposition [législative nationale] entraine l’inapplicabilité de l’article 28, paragraphe 2, de ce règlement » (§ 47), et ce à raison des articles 5 CEDH et 6 CDFUE qui prohibent toute détention arbitraire. La CJUE ne saurait être plus claire.
Cette décision des juges de Luxembourg s’avère des plus importantes pour l’ordre juridique français. En effet, l’autorité administrative peut seulement assigner à résidence le demandeur de protection dans le cadre de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile [Article L.561-2 du Code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile CEDESA], et peut le placer en rétention uniquement dans la perspective imminente du transfert lorsqu’il existe un risque que la personne se soustraie à son obligation de quitter le territoire [Article L. 551‑1 CEDESA].
C’est pourquoi les préfectures françaises ont pris l’habitude de se confer sur le seul article 28 du règlement Dublin III pour de prononcer des mesures de placement en rétention des demandeurs d’asile « dublinés » au motif de l’existence d’un risque non négligeable de fuite, certaines autorités administratives allant même jusqu’à prendre des mesures de placement en rétention avant toute réponse de l’État requis au fin de prise ou reprise en charge. Or la législation française [Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile] n’a pas pris soin de définir « le risque non négligeable de fuite » dont traite l’article 28 § 2 du règlement Dublin III.
L’arrêt de la Cour de Cassation du 27 septembre 2017 : le souffle européen
L’affaire concernait un ressortissant sri-lankais ayant déposé une demande d’asile, qui est apparu être entré dans l’Union par l’Italie. C’est pourquoi le préfet de Paris a pris le 13 février 2017 un premier arrêté le concernant aux fins de remise aux autorités italiennes – considérées comme responsables de l’examen de sa demande de protection en application du règlement du 26 juin 2013 –, et un second arrêté le plaçant au Centre de rétention administrative CRA du Mesnil-Amelot au motif de l’existence d’un risque de fuite. En effet, le préfet de Paris a estimé que le ressortissant sri-lankais en cause ne présentait pas des garanties propres à prévenir le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement en attente de sa mise en œuvre effective, car il ne disposait pas d’un passeport, était connu sous un alias, n’avait pas donné d’attestation d’hébergement, ne justifiait pas de ressources. Par ordonnance du 17 février suivant, le premier président de la Cour d’appel de Paris a prolongé la rétention du ressortissant sri-lankais.
Saisie de cette ordonnance, la Cour de cassation l’a annulée, en se référant à la décision de la CJUE dans l’affaire Al Chodor. Elle a décidé de manière logique que le placement en rétention était illégal, car l’article 28 § 2 du règlement Dublin III est inapplicable « en l’absence [dans la législation française] de disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert ».
La Cour de cassation est allée plus loin. Elle a écarté la possibilité de considérer l’application à l’espèce de l’article L.511-1 § II sous 3e) CESEDA qui définit les critères permettant de caractériser un risque de fuite de ressortissants étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou d’une assignation à résidence. Sont visés l’entrée irrégulière et le séjour irrégulier sur le territoire français, le défaut d’exécution d’une précédente mesure d’éloignement, la falsification ou la contrefaçon de documents d’identité ou de voyage, l’absence de garanties suffisantes découlant l’absence de possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ou de l’absence de domicile stable. Et la Cour de cassation d’estimer qu’il serait nécessaire de poser une question préjudicielle à la CJUE en application de l’article 267 TFUE, afin que puisse être déterminé si une telle disposition constitue une disposition générale contraignante définissant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite d’un demandeur de protection qui fait l’objet d’une procédure de transfert.
La position adoptée ainsi par la première chambre civile de la Cour de cassation a été rapidement suivie par le Tribunal de grande instance de Paris qui a adopté un placement en rétention d’un demandeur d’asile « dubliné » par arrêté du Préfet du Val de Marne [JLD, n°17/03843, 30 septembre 2017], ce qui a été confirmé par la Cour d’appel de Paris [B17/04273, 2 octobre 2017].
Les décisions des juridictions administratives : l’esprit de résistance ?
Si les juridictions judiciaires françaises semblent suivre les leçons européennes, les juridictions administratives paraissent quant à elles avoir quelques difficultés à en tirer les conséquences logiques. Certes le Tribunal administratif de Toulouse a saisi les arguments développés par la CJUE dans sa décision Al Chodor pour soutenir sa décision d’annulation de maintien en rétention d’un ressortissant de pays tiers y ayant déposé une demande d’asile, au motif que l’absence dans la loi de précision quant aux critères objectifs définissant le risque de fuite privait le maintien en rétention de toute base légale [TA Toulouse, 22 mai 2017, n°1702143]. Quant aux juridictions administratives supérieures, elles rechignent à tirer toutes les conséquences de la décision de la CJUE. Il convient de citer ici la décision Cour administrative d’appel rendu le 14 mars 2017, dont on peine à imaginer qu’elle ignorait le rendu le lendemain même par la CJUE de décision dans l’affaire Al Chodor [CAA de Douai 14 mars 2017 n°16DA01958].
L’espèce concernait un ressortissant irakien qui a déposé une demande d’asile en Allemagne avant d’être interpellé le 14 septembre 2016 à Calais par les autorités françaises. La préfète du Pas-de-Calais a dès le lendemain 15 septembre pris deux décisions : la première ayant pour objet de saisir les autorités allemandes d’une demande de reprise en charge ; la seconde de placer en rétention du demandeur d’asile en cause. L’arrêté de placement en rétention ayant été annulé par le juge administratif suite au recours pour excès de pouvoir introduit à son encontre (TA de Lille, jugement n°1606968, 23 septembre 2016), et la préfecture ayant interjeté appel d’une telle décision, la CAA de Douai a eu à en connaître. Alors que se posait des questions de droit de l’Union européenne – à savoir des interrogations concernant l’application des mesures relatives au transfert de demandeurs d’asile « dublinés » en général et à leur placement en rétention en particulier –, la CAA de Douai n’a pas posé de question préjudicielle à la CJUE, mais a préféré poser une question de droit nouvelle au Conseil d’État [Article L. 113-1 Code de justice administrative].
L’affaire l’illustre, les juges français n’ont guère le réflexe de dialoguer avec la Cour de Luxembourg. Surtout, l’avis rendu par la Conseil d’État le 19 juillet 2017 [CE, avis, 19 juillet 2017, n°408919] traduit une lecture et une interprétation de l’article 28 du règlement Dublin III peu en phase avec celle de la CJUE dans sa décision Al Chodor. En effet, la haute juridiction administrative considère que « le législateur n’a pas entendu que l’autorité administrative puisse placer en rétention administrative le demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure de transfert avant l’intervention de la décision de transfert » [Article L. 742-2 CESEDA]. Le Conseil d’Etat estime donc le placement en rétention d’un demandeur d’asile « dubliné » après la notification de la décision de transfert, sans accorder la moindre considération pour l’absence de détermination dans la loi des critères objectifs du risque de fuite dont les conséquences ont été clairement énoncées par la CJUE 4 mois plus tôt.
Il a continué à valider les placements en rétention de demandeurs d’asile au motif de l’existence d’un risque de fuite [voir en particulier, CE, 11 avril 2017, n°409592 ; CE, 1er septembre 2017, n°413842]. Dans une ordonnance du 8 novembre 2017, le juge des référés du Conseil d’État a maintenu et accentué une telle position, en opposition manifeste à la jurisprudence de la Cour de Luxembourg [JRCE, 8 novembre 2017, n°415178]. Il n’a nullement remis en cause le fait que l’administration française a considéré l’introduction d’un recours contre une mesure de transfert Dublin comme un refus d’exécution constitutif d’un risque de fuite (§7). Il a de surcroît affirmé que l’introduction d’un recours contre une décision de transfert Dublin interrompt le délai de 6 mois prévu à l’article 29 § 2 du règlement Dublin III jusqu’à l’intervention du jugement du tribunal administratif, venant ainsi restreindre les possibilités pour les autorités françaises de devoir examiner les demandes d’asile des « dublinés » non transférés.
Conclusion
Bénéficiant ainsi de l’aval de la haute juridiction administrative, les préfectures persistent dans le leur habitude de placer en rétention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une mesure de transfert Dublin, autrement de prendre des mesures de privation de liberté en violation du droit de l’Union européenne. Bien plus, la pratique répandue s’est renforcée d’arrêté les dublinés pour les placer en détention lors de leur convocation à la préfecture. Et de nous interroger que les dispositions de l’avant-projet de loi sur l’asile et l’immigration en cours d’élaboration : tireront-elles toutes les conséquences de la décision de la CJUE dans l’affaire Al Chodor en donnant des critères objectifs et donc précis du risque de fuite, afin de faire que la rétention soit réellement l’exception ? ou bien choisiront-elles de contourner la jurisprudence européenne en énonçant des critères cosmétiques et malléables permettant aux préfectures de maintenir un placement en rétention systématique et aux juges administratifs de les valider ? La lecture de la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen enregistré à l’Assemblée nationale le 24 octobre 2017 (présentée par Jean-Luc Warsmann et 18 autres députés Les Républicains) ne semble pas du meilleur augure, qui vise clairement à vider de toute portée les décisions ici étudiées de la CJUE et de la Cour de cassation.
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Marie-Laure Basilien-Gainche est Professor Law (EU Law, HR law, migration law) at the University Jean Moulin Lyon 3, and honorary member of the Institut Universitaire de France. Visit her webpage https://sites.google.com/site/marielaurebasiliengainche/
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